mardi 28 octobre 2014

Sur les ruines du monde, de collectif (éditions House Made of Dawn)



résumé
Sur les ruines du monde, une anthologie composée de 10 histoires apocalyptiques, présente le travail d’auteurs actuels de la scène fantastique française. 10 décors, 10 ambiances, 10 fables terribles qui dépeignent la fin de notre civilisation. Entre poésie, violence et mystère, laissez-vous guider à travers les ruines des grandes cités et les paysages dévastés à la recherche de la réponse à une question : Que resterait-il de l’humanité sans la civilisation ?

1 Schrödinger (V.F.F Pouget) : Enfermé dans une cellule minuscule pour les prochaines années à attendre que le monde s’auto-détruise, le héros de cette histoire se demande s’il a finalement fait le bon choix en acceptant cette proposition.

2 Le sac koala (Nathalie Haras) : Quelques jours avant l’arrivée de la météorite, la population fuit vers le sud pour éviter le point d’impact. Mais ce père, lui, fonce vers le nord avec une seule idée en tête : retrouver sa fille.

3 La fête (Lionel Dulout) : A travers les ruines silencieuses de notre monde, la Fête sans fin suit son cours, éphémère et insouciante. Jusqu’au jour où ils s’installent près de cette tour gigantesque où les secrets du passé sont enfermés.

4 M. le Vétérinaire fait sa tournée (Stéphane Pihen) : Dans une Haute-Normandie ravagée par la crise économique, M. le Vétérinaire prèpare son repas du soir après sa tournée journalière : jus de betterave et chaton mort-né.

5 L’adieu à la reine (Annaiq le Quellec) : L’humanité fuit la Terre, caillou desséché dont toutes les réserves ont été outrageusement épuisées. Une femme vient assister à un spectacle étrange : on brûle ce qui reste de la grande flotte espagnole dans le port de sa ville. La fin d’un monde et la fin d’une époque.

6 Mars (Renaud Ehrengardt) : Benjamin et Rafael ont dix ans. Il est temps pour eux de passer leur initiation. Le sage du village les envoie chercher un objet mystérieux par-delà la Montagne Bleue, là où vivent les fantômes.

7 Au nom d’Athée (Mathieu Dugas) : Après avoir traversé la moitié de la planète à la recherche de sa femme, Paik Young Il devra affronter des pirates toulonnais qui se sont installés sur les côtes ainsi qu’une secte aux mœurs étranges adorant un Dieu mystérieux répondant au nom d’Athée. Dans une Provence sans foi ni loi, il devra se battre pour survivre et retrouver son épouse.

8 Protéger et servir (Thomas Baronheid) : La vie se déroule paisiblement dans le Foyer. Les robots pourvoient à tous les besoins des humains sans qu’ils aient à se préoccuper du monde extérieur, qu’ils n’ont jamais vu. Mais un jour, ce havre de paix est bouleversé par une étrange attaque…

9 Sur les traces du Dragon-Tangible (Anthony Boulanger) : Le monde est noyé dans une épaisse fumée noire et toxique. Seul moyen de repousser ces volutes mortelles : les hydrocarbures. S’étant installés sur les aires d’autoroute, les survivants s’interrogent sur les traces étranges retrouvées un matin au bord de la route et qui évoquent une créature mythique issue du nuage obscur : le Dragon-Tangible.

10 Derrière le désert (Svetlana Kirilina) : Qu’y a-t-il au-delà de ce désert apparemment sans fin qui cerne le petit village de Mara ? Une question qui l’obsède depuis son plus jeune âge. Poussée par les voix mystérieuses qui émanent du désert, elle envisage d’entreprendre cet ultime voyage au bout de l’inconnu.

Mon avis
Les nouvelles proposées sont différentes aussi bien sur le fond (axe choisi) que sur la forme (taille et narration, style différents). Chacune d’entre-elles possède pourtant un point commun : elles se centrent toutes sur l’histoire de personnages pris dans la tourmente de fin du monde. Cette fin ne représente pas, en elle-même, le sujet principal. Comme le titre le précise, le lecteur se trouve projeté sur les ruines de mondes en perdition: soit parce que la fin a déjà eu lieu et que les survivants s’organisent (sur la terre et ce qu’il en reste, sur les restes de notre civilisation, ou même ailleurs, loin de ses ruines, ou sur une autre planète), soit parce qu’elle arrive (plus ou moins vite) et que le monde tel qu'on l’a connu n’existe déjà plus. D’ailleurs, jamais cette fin du monde n’est décrite, dans aucune de ces nouvelles. Souvent les auteurs restent vagues sur les événements qui l’accompagnent. Quand elle est explicitement citée, on retrouve des causes banales comme l’arrivée d’une météorite, d’un cataclysme. Seulement dans la nouvelle « Sur les traces du dragon tangible » la fin du monde, tel que nous le connaissons, s’avère particulièrement originale, car elle survient suite à un enténèbrement mondial et à la perte du soleil. Cette nouvelle s’appuie entièrement sur les suites de cet événement. 

Face aux dangers, les personnages se trouvent confrontés à un choix: celui d’affronter les événements ou de les fuir au sens propre comme au sens figuré. Evidemment, quand arrive la fin du monde, la question reste la même : que ferions nous ? (pour faire face à ce qui la précède ou ce qui la suit ) Ici les personnages connaissent les tourments du choix, mais une fois la décision prise, ils le vivent comme une libération. Dans la possibilité de choisir, réside la liberté d’influer sur son destin. 
Pour la plupart, le choix de fuir s’impose, pourtant cela n’empêche pas les hommes de construire leur propre prison : « Schrödinger » en est un parfait exemple. En effet, le choix s’avère essentiel. Le personnage principal accepte d’être enfermé pour un projet de repeuplement de la planète. Après quelques années d’isolement, il ignore quel est l’état actuel du monde extérieur. Y a-t-il des survivants ? Est-il seul au monde ? Que fera-t-il ? Va-t-il sortir pour affronter ce monde extérieur, quand tant de données inconnues subsistent ? Malgré l’enfermement, pour lui, choisir c‘est se libérer d’un poids : la conclusion de la nouvelle l’illustre particulièrement bien. 
Dans « La fête », les survivants fuient la réalité et le monde extérieur en se réfugiant dans une bulle de fête, mêlant alcool, drogue, et danse comme moyen ultime de s’exprimer. Aucun éloignement de cette « bulle », donc de cette fête permanente et de ses effets abrutissants, n’est permis. Ce choix devient vite une prison. On retrouve ce concept dans « Protéger et servir » où les humains sont enfermés dans des couveuses avec des robots qui s’occupent de leur bien être, mais se voient privés de tout libre arbitre. 
La fuite observée s’avère très différente dans « Le sac Koala », car involontaire. Une petite fille autiste, prisonnière de son propre monde, s’y réfugie coûte que coûte et ne semble pas prendre conscience de ce qui se passe autour d’elle. Seuls les inconforts et désagréments qui leurs sont liés l’interpellent: le personnel de l‘hôpital l‘abandonne pour fuir et plus personne ne s’occupe d’elle. Seule la faim finit par la faire réagir.

La fin du monde annonce également le temps des regrets : de la civilisation, du confort ou de ses propres actes, volontaires ou non.
Dans « Schrödinger » , le personnage fait face à l’enfermement et à l’isolement en s’absorbant dans la culture qui fut la sienne : il enchaîne musiques, films et livres, qu‘il a visionnés, écoutés déjà mille fois. Mais peut lui importe, il s‘accroche aux souvenirs de sa vie passée. On comprend que son enfermement fut une décision difficile à prendre et qu’il regrette sans doute maintenant, même s’il doit s’en accommoder. Si sa femme l’avait retenu, peut être aurait-il refusé. Peut être était-ce plutôt, à l’origine, du bluff pour essayer de la faire réagir. 
Dans « le sac Koala » c’est Paul qui regrette amèrement d’avoir laissé sa fille dans un institut et se demande comment elle affronte les événements, entourée d’étrangers. On ne peut que lui donner raison, quand on sait qu’elle se retrouve seule, abandonnée par ceux sensés s‘occuper d’elle. La double narration proposée par l’auteur, le journal de Paul, la narration du point de vue de sa fille, joue de cette tension et sollicite la compassion du lecteur. La culpabilité et la prise de conscience de Paul aurait-elle été aussi vive, sans l’arrivée de la fin du monde ?
« Au nom d’Athée » nous propose une vision légèrement différente, mais très intéressante. Ray Young-Il regrette la vie qu’il aurait pu avoir, une vie de famille, avec sa femme et leur enfant, dont on l’a éloigné en l‘envoyant en prison. C’est parce qu’il les cherche et qu’il veut rattraper le temps perdu, qu’il se trouve entraîné dans bien des mésaventures : son passé influence son destin de façon insoupçonnée. 

La fin d’un monde, peut également signifier l’évolution de notre monde, un changement radical, voire d’autres civilisations qui le remplacent. 
Certaines nouvelles nous dépeignent un monde sombre et impitoyable qui se superpose au notre, un monde qui se détériore et court à sa propre perte. La population y vit dans la misère, sans espoir de voir son sort s’améliorer et cherche la moindre source de réconfort : dans une vie de famille à reconstruire, dans une religion à trouver, ou dans la foi en l’humanité à retrouver. Parallèlement, les comportements déviants, cruels et impitoyables se généralisent.
C’est le cas pour « Monsieur le vétérinaire fait sa tournée », où se propagent insécurité, maladies et bidonvilles dans la ville du Havre, ou dans « Au nom d’Athée » où des pirates esclavagistes et fanatiques religieux sans scrupules entraînent leur monde, de manière plus ou moins subtile, dans une folie barbare. 
D’autres nouvelles présentent leurs univers sous un jour différent et coupent définitivement du mode de vie de notre civilisation. Les ruines, seuls vestiges de celles-ci, deviennent l’objet d’une quête ou d’une initiation, comme s’il était possible de tirer leçon des erreurs du passé, alors que ces civilisations éteintes continuent à exercer leur fascination. Dans « Mars », deux adolescents n’échappent pas à la « traditionnelle » aventure initiatique que leur impose leur village et partent visiter les ruines de l’ancien monde. La nouvelle propose un joli retournement de situation et un peu d’humour mêlé d’espoir à la fin. Dans « Derrière le désert » l’exploration se fait plutôt énigmatique et les traces du passé mystérieuses et envoûtantes. 
« Sur les traces du dragon tangible » diffère de ces nouvelles, puisque notre monde change suite à un phénomène d’enténèbrement. Le soleil disparaît, coupé de la terre par des nuages qui envahissent notre terre. D’étranges et dangereuses créatures les accompagnent. Les hommes s’organisent face à cette nouvelle menace. L’univers décrit est le plus riche et le plus fascinant du recueil. Cependant , l’exploration de l’univers de la petite fille autiste, ou plutôt du reflet de notre univers tel qu’elle le conçoit, est tout aussi intéressant.

En conclusion, le recueil propose une vraie réflexion et une vraie cohérence dans le choix de ses nouvelles. Chacune se démarque par son style et sa narration, mais le style de chacune est fluide et agréable à lire. Certaines nouvelles sont courtes, voire bien trop courtes ! J’aurais par exemple aimé en lire un peu plus sur l’univers riche et passionnant de « Sur les traces du dragon tangible » dont la fin arrive un peu abruptement. Ce format court fut pourtant approprié pour «  L’adieu à la reine », fort bien écrit et intense, bien que peu développé. 
D’autres nouvelles sont longues, voire bien trop longues: il m’a été difficile d’arriver au bout de « La fête » et «  Derrière le désert » qui auraient pu être plus percutantes en supprimant quelques incohérences et longueurs, les rendant confuses. Par contre, « Au nom d’Athée » fait partie des plus longues, mais elle s’est révélée si passionnante, qu’elle se dévore rapidement. Cette nouvelle est d’ailleurs un vrai coup de cœur !
Parmi les autres nouvelles du recueil j’ai également beaucoup apprécié « Le sac koala » et « Mars », tout deux touchantes à leur façon, ainsi que « Schrödinger», première nouvelle du recueil qui propose une bonne entrée en matière.
Globalement, la lecture fut donc très agréable.

Le Bracelet électronique, de Guillaume Perrotte


Le bracelet électronique relate l’histoire d’un couple qui se déchire et dont la relation devient chaotique, quand Jo (le mari) bascule dans la violence. Celui-ci nous raconte sa descente aux enfers, quand sa femme Nath déménage dans la maison voisine. Bien qu’elle assure se rapprocher de lui pour qu’il puisse voir son fils, il s’interroge longuement sur ses véritables intentions. On découvre peu à peu les dessous de leur relation, de l’amour à la haine. La violence est omniprésente et se traduit par une tension latente. La passion de départ a laissé place à la violence verbale pour elle, et physique pour lui. 

L’auteur, Guillaume Perrotte nous propose un récit à la première personne, du point de vue de Jo. Ce choix peut paraître singulier, puisque Jo est ici l’agresseur, mais il se justifie bien vite et devient fort intéressant à la lecture. En effet, la stratégie se révèle excellente, pour faire douter le lecteur et le faire osciller entre les deux personnages. Est-il parano et jaloux, comme l’accuse Nath ? Est-elle l’aguicheuse provocante qu’il nous décrit ? On s’interroge sur les motivations des deux protagonistes, sur leurs intentions, sur la véracité des dires de Jo et peu à peu sur sa lucidité. La vérité apparaît au fur et à mesure du récit, qui apporte au compte goutte des réponses aux questions que l’on se pose. 

L’organisation du récit repose sur le flashback, qui nous fait remonter au moment où tout a basculé: quand Jo a frappé Nath, moment où celle-ci évoque les souvenirs de ses infidélités. Au fur et à mesure que Jo nous restitue ses révélations, on assiste à sa chute de plus en plus vertigineuse dans la haine et la folie. On se demande pendant longtemps quelle en est l’origine. Et sur ce point, l’auteur sait nous tenir en haleine (malgré quelques longueurs répétitives) avant de nous dévoiler ses véritables blessures psychologiques.

Les situations choisies et dialogues sont percutants. Par contre, j’ai eu un peu de mal à visualiser les personnages, par un léger manque de descriptions. 
L’érotisme s’insère de manière subtile: dans les souvenirs des infidélités évoquées, dans la tension toujours présente, dans une sensualité latente, souillée (selon Jo) par la trahison et la luxure présumée de Nath. 

En conclusion, la nature même du récit et le choix de la narration font du « Bracelet électronique » une lecture intense. L’aspect psychologique prend le dessus sur l’aspect érotique, mais le récit est empreint d’une tension sexuelle latente, ponctuée par les récits des infidélités de Nath. 

Merci au forum "Au coeur de l'Imaginarium" et aux éditions Dominique Leroy (collection e-ros) pour cette belle découverte.