mardi 25 août 2015

Secrets de Maisons closes de Marc Lemonier


Le sommaire détaillé nous laisse entrevoir de nombreux récits, suivant la chronologie historique pour évoquer celle des maisons closes. Dans les titres, on entraperçoit des noms de célébrités tel Flaubert, Maupassant, Toulouse Lautrec ou même Edith Piaf, ou des sous titres cocasses comme « Un bordel d’ecclésiastiques ». On entame donc la lecture avec curiosité. 

L’auteur nous précise que chaque récit (ils sont au nombre de trente cinq), nommés selon des noms de rues ou des bordels eux même, offre des morceaux d’histoires véridiques, de secrets volés. On est en droit de se demander si les sources sont fiables, si on peut porter crédit à la lecture, sans se poser de questions. Une biographie impressionnante découverte à la fin du livre répond à cette inquiétude légitime. Les sources sont diverses, mais pertinentes (livres historiques, biographies et autobiographies, correspondances etc.…), et semblent fiables. Je me suis souvent référée à ces sources lors de la lecture, pour les vérifier. Elles témoignent d’un travail de recherche assez impressionnant et minutieux. Quand l’auteur prétend donner un aspect véridique à ses récits, ce ne sont pas des paroles en l’air. 
Il avertit également le lecteur sur son choix de point de vue, essentiellement masculin et alerte sur les conditions de vie des filles de maison, pas si libres qu’on ne veut le penser et souvent plutôt forcées que consentantes, résignées à accepter leur sort, la plupart piégées dans une vie de misère. S’attendre à de la légèreté dans cet ouvrage serait une erreur. L’auteur donne la gravité nécessaire à un sujet loin d’être innocent. Sa prise de recul est appréciable et recentre le lecteur. L’ouvrage n’est ni léger, ni voyeur. Il témoigne d’un passé plus noir que rose.

On plonge ensuite dans une introduction qui pose les jalons chronologiques des maisons et les fils de réflexion, que proposent les récits. Des origines à 1946 (date de leurs fermetures), les maisons évoluent, mais la prostitution, elle, ne change pas et les filles perdent de plus en plus de droits et de libertés au fil du temps. L’auteur aborde dès cette introduction leur assimilation à une simple marchandise. 
Même si, des maisons abattage aux palaces, le cadre et la clientèle n’est pas la même, les filles peuvent débuter dans le luxe, mais connaîtront forcément, en prenant de l’âge, la dégringolade jusqu’en bas de l’échelon. Les perspectives d’avenir ne sont pas glorieuses !

Quand l’auteur entre dans le vif du sujet avec le premier récit, il débute en 40 avant JC à Rome. Il enchaîne l’évolution en proposant des points de vue aussi divers qu’étonnants : clients, tenanciers, bien sûr, mais aussi policiers, ministres chargés d‘éviter des scandales etc…. Une narration vive raconte les secrets roses et noirs des maisons, décrivent des filles tantôt envoûtantes, tantôt charmantes, canailles, ou miséreuses. Mais, le point commun de toute maison, et cela à travers les âges, reste d’en proposer pour tous les goûts. Les filles sont présentées tels des animaux. Il faut offrir aux clients un cheptel, une variété, de la plus familière à la plus exotique. Elles sont assimilées à de vulgaires objets de plaisir, simple source de gains, dont les revenus bien maigres les empêchent d’envisager la moindre fuite. L’évolution de la réglementation, au nom de l’ordre moral et public, loin de leur fournir des garanties, les emprisonnent un peu plus, par des règlements toujours plus rigides

Les récits s’enchaînent et ne se ressemblent pas. L’auteur trouve toujours un point d’ancrage différent pour évoquer le sujet, pour découvrir les dessous des maisons. Ces secrets se dévoilent sans pudeur, voire sans détour et de façon crue. Ils peuvent même se montrer choquants. Le point de vue essentiellement masculin s’explique par le manque d’écrits et de témoignages des filles elles-mêmes. On retrouve bien quelques carnets, dont un livre de compte, bien révélateur sur les conditions de travail. Ceux-ci se situe en fin de livre. Les filles ne s’épanchent pas, mais on peut comprendre qu’elles n’en aient pas envie.

L’auteur se permet des intrusions dans ses récits pour apporter son avis, son jugement et interpeller le lecteur. Loin d’être neutre il dénonce l’exploitation des filles à travers les âges, ces secrets bien gardés, aux détails plus sordides que croustillants. On découvre ainsi les vices de certaines célébrités : bestialité de l’un, la torture des animaux pour l’autre, ou même les pratiques pédophiles. Il dévoile également, à travers ce goût pour les jeunes enfants, l’ébauche du tourisme sexuel. Ce côté abject refroidit largement le lecteur. Heureusement que d’autres (très peu nombreux) tel Toulouse Lautrec font preuve d’un peu plus d’humanité. Il observe les filles dans leur intimité pour leur redonner leur dignité perdue à travers ses toiles, en montrant leur beauté, leurs moments de tendresse, quand elles reprennent visage humain et ne sont pas de simples objets de soumission au désir et au plaisir de leurs clients. 

En conclusion, Secrets de maisons closes est un livre surprenant, passionnant, qui amène à réfléchir avec sérieux sur la prostitution à travers les âges. Les nombreux récits se lisent avec intérêt et plaisir. Certes, ils chamboulent le lecteur, mais ils remettent les idées en place et apportent un triste témoignage sur le rabattage et sur les conditions de vie des filles. Dans l’introduction l’auteur se demande si la situation actuelle a apporté un mieux. Des maisons aux trottoirs, quel progrès ? Est-ce que les choses ont vraiment changé finalement ? Il ne donne aucune réponse sur ce sujet complexe et épineux, mais apporte les bases d’une vraie réflexion. Ce livre est une excellente surprise et un coup de cœur. Je remercie le forum « au cœur de l’Imaginarium » et les éditions « La Musardine » pour cette lecture.

mardi 4 août 2015

La harpe des étoiles de Johan Heliot


Résumé
Le nomade Teer-Elben vogue sur les fils de la Harpe des étoiles, qui relient les planètes colonisées par les différentes castes de la post-humanité... Un mystérieux commanditaire l'a en effet chargé de retrouver l'Abelle, le vaisseau mythique à bord duquel les Primos, derniers survivants de l'humanité originelle, ses sont enfuis. Et voilà Teer-Elben, manipulé, menacé, traqué ! Il ne peut guère compter que sur son lignage et sur l'étonnante Si'Wu, jeune Diaphane au corps impalpable. Dans l'entrelacs des cordes de la Harpe des étoiles, l'affrontement entre castes posthumaines et humains originels va-t-il resurgir du passé ? La guerre des castes peut-elle détruire le fragile équilibre galactique

Mon avis
J’ai découvert Johan Heliot avec « La lune seule le sait », premier tome d’une trilogie steampunk : une agréable surprise. En effet, la plume et l’univers de l’auteur m’avaient bien plus et c’est avec une certaine impatience que j’ai commencé la lecture de ce roman SF.

Dans « La harpe des étoiles » Johan Heliot nous propose un univers à la fois riche et complexe et pourtant simple, si on considère certains aspects. L’originalité et la richesse de ce monde repose sur la harpe et son fonctionnement : un système de fils, des flux de communications qui relient le planètes entre elles. L’univers compose une vaste toile qui raccorde les harpes. La mise en place est ingénieuse et complexe à appréhender pour le lecteur, qui doit s’accrocher au récit, s’approprier son fonctionnement, pour qu’enfin le système devienne limpide et laisse place à une intrigue tout aussi élaborée.
Par contre, la société mise en place reste (volontairement) très simple : chacun dépend de sa caste qui définit sa fonction. Pas de place au hasard, pas d’évolution possible: on nait nomade, techno, harpiste, domos (serviteur), ou berserker... 

Le personnage principal est un nomade, caste dont les membres sont de moins en moins nombreux, car désignés comme parasites, haïs de tous et plus spécialement par le maître des mailles (maître de la harpe) qui les extermine peu à peu.
Accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis, notre nomade embarque à bord de la Jonque, afin de mener à bien une mission pour un étrange personnage, se cachant derrière un masque: il doit retrouver un vaisseau primos. Les primos sont les humains qui ont donné vie aux Néos ont été exterminés par leurs « enfants terribles » quand ceux ci ont gagné leur indépendance. Seul ce vaisseau a réussi à prendre la fuite, avec à son bord des humains et le premier nomade.

Les nomades s’avèrent être des personnages fascinants. Leur caste est vouée à l’errance, car ils ne peuvent rester trop longtemps au même endroit, au risque de faire des crises de vertige. Ce malaise les submerge quand ils ne voyagent pas et leur fait perdre tout contrôle. Ils sont également capables de communiquer entre eux, par un canal autre que la harpe, le repli (d’où la haine que leur voue le maître des mailles car ceux-ci échappent à son contrôle). Le réseau de mailles, vital pour tous, n’englobe donc pas les nomades dans son système, ce qui fait d’eux des êtres à part.
Les autres castes possèdent également leurs propres caractéristiques qui les catégorisent fatalement. Cette classification extrême peut sembler simpliste, mais constitue un des aspects importants de l’intrigue.

Le Crâne, maître des mailles fournit une menace de plus en plus présente dans l'intrigue, de plus en plus tangible au fur et à mesure que l'on comprend sa nature et son rôle dans celle ci. Il choisit à loisir entre sa forme incarnée et désincarnée pour apparaître dans l'histoire. Sa forme désincarnée, même si elle limite son champs d'action, lui permet une maîtrise totale de toute information par l'intermédiaire de la harpe. Sa puissance et son omniprésence en font un tyran pratiquement invincible.
Pourtant, la mission première prend une autre dimension pour les personnages qui accompagnent le nomade. Ils nourrissent un nouvel espoir: celui de pouvoir changer les choses grâce aux primos. 
Une bataille s’engage. De révélations en révélations, de luttes en luttes, l’univers change, évolue. L’intrigue entraîne le lecteur jusqu’au bout du voyage dans une histoire passionnante.

Johan Héliot déploie une partie de son univers à travers ce roman, avec une plume fluide et des concepts originaux. Même si ceux-ci sont peu nombreux, ils sont abordés de manière approfondie. Chaque possibilité semble exploitée, visitée, pour notre plus grand plaisir. Même les éléments classiques de SF proposent leur propre fonctionnement, leur propre essence, comme par exemple la symbiose qui lie le capitaine de la Jonque à son vaisseau. On sent la touche de l’auteur sur chaque élément du roman. 

J’ai retrouvé le plaisir éprouvé lors de la lecture de « La lune seule le sait ». Johan Heliot a su me toucher à travers ces deux romans. Celui-ci s’adresse à un lectorat plus spécifique, et je le conseille aux lecteurs de SF, mais j‘ai apprécié chacun d‘entre eux.
Je conseillerai donc plutôt « La lune seule le sait » à ceux qui voudraient découvrir la plume de l’auteur, sans être forcément amateur de SF (un très bon steampunk. Il faudrait d’ailleurs que j’attaque la suite !)