Le sommaire détaillé nous laisse entrevoir de nombreux récits, suivant la chronologie historique pour évoquer celle des maisons closes. Dans les titres, on entraperçoit des noms de célébrités tel Flaubert, Maupassant, Toulouse Lautrec ou même Edith Piaf, ou des sous titres cocasses comme « Un bordel d’ecclésiastiques ». On entame donc la lecture avec curiosité.
L’auteur nous précise que chaque récit (ils sont au nombre de trente cinq), nommés selon des noms de rues ou des bordels eux même, offre des morceaux d’histoires véridiques, de secrets volés. On est en droit de se demander si les sources sont fiables, si on peut porter crédit à la lecture, sans se poser de questions. Une biographie impressionnante découverte à la fin du livre répond à cette inquiétude légitime. Les sources sont diverses, mais pertinentes (livres historiques, biographies et autobiographies, correspondances etc.…), et semblent fiables. Je me suis souvent référée à ces sources lors de la lecture, pour les vérifier. Elles témoignent d’un travail de recherche assez impressionnant et minutieux. Quand l’auteur prétend donner un aspect véridique à ses récits, ce ne sont pas des paroles en l’air.
Il avertit également le lecteur sur son choix de point de vue, essentiellement masculin et alerte sur les conditions de vie des filles de maison, pas si libres qu’on ne veut le penser et souvent plutôt forcées que consentantes, résignées à accepter leur sort, la plupart piégées dans une vie de misère. S’attendre à de la légèreté dans cet ouvrage serait une erreur. L’auteur donne la gravité nécessaire à un sujet loin d’être innocent. Sa prise de recul est appréciable et recentre le lecteur. L’ouvrage n’est ni léger, ni voyeur. Il témoigne d’un passé plus noir que rose.
On plonge ensuite dans une introduction qui pose les jalons chronologiques des maisons et les fils de réflexion, que proposent les récits. Des origines à 1946 (date de leurs fermetures), les maisons évoluent, mais la prostitution, elle, ne change pas et les filles perdent de plus en plus de droits et de libertés au fil du temps. L’auteur aborde dès cette introduction leur assimilation à une simple marchandise.
Même si, des maisons abattage aux palaces, le cadre et la clientèle n’est pas la même, les filles peuvent débuter dans le luxe, mais connaîtront forcément, en prenant de l’âge, la dégringolade jusqu’en bas de l’échelon. Les perspectives d’avenir ne sont pas glorieuses !
Quand l’auteur entre dans le vif du sujet avec le premier récit, il débute en 40 avant JC à Rome. Il enchaîne l’évolution en proposant des points de vue aussi divers qu’étonnants : clients, tenanciers, bien sûr, mais aussi policiers, ministres chargés d‘éviter des scandales etc…. Une narration vive raconte les secrets roses et noirs des maisons, décrivent des filles tantôt envoûtantes, tantôt charmantes, canailles, ou miséreuses. Mais, le point commun de toute maison, et cela à travers les âges, reste d’en proposer pour tous les goûts. Les filles sont présentées tels des animaux. Il faut offrir aux clients un cheptel, une variété, de la plus familière à la plus exotique. Elles sont assimilées à de vulgaires objets de plaisir, simple source de gains, dont les revenus bien maigres les empêchent d’envisager la moindre fuite. L’évolution de la réglementation, au nom de l’ordre moral et public, loin de leur fournir des garanties, les emprisonnent un peu plus, par des règlements toujours plus rigides
Les récits s’enchaînent et ne se ressemblent pas. L’auteur trouve toujours un point d’ancrage différent pour évoquer le sujet, pour découvrir les dessous des maisons. Ces secrets se dévoilent sans pudeur, voire sans détour et de façon crue. Ils peuvent même se montrer choquants. Le point de vue essentiellement masculin s’explique par le manque d’écrits et de témoignages des filles elles-mêmes. On retrouve bien quelques carnets, dont un livre de compte, bien révélateur sur les conditions de travail. Ceux-ci se situe en fin de livre. Les filles ne s’épanchent pas, mais on peut comprendre qu’elles n’en aient pas envie.
L’auteur se permet des intrusions dans ses récits pour apporter son avis, son jugement et interpeller le lecteur. Loin d’être neutre il dénonce l’exploitation des filles à travers les âges, ces secrets bien gardés, aux détails plus sordides que croustillants. On découvre ainsi les vices de certaines célébrités : bestialité de l’un, la torture des animaux pour l’autre, ou même les pratiques pédophiles. Il dévoile également, à travers ce goût pour les jeunes enfants, l’ébauche du tourisme sexuel. Ce côté abject refroidit largement le lecteur. Heureusement que d’autres (très peu nombreux) tel Toulouse Lautrec font preuve d’un peu plus d’humanité. Il observe les filles dans leur intimité pour leur redonner leur dignité perdue à travers ses toiles, en montrant leur beauté, leurs moments de tendresse, quand elles reprennent visage humain et ne sont pas de simples objets de soumission au désir et au plaisir de leurs clients.
En conclusion, Secrets de maisons closes est un livre surprenant, passionnant, qui amène à réfléchir avec sérieux sur la prostitution à travers les âges. Les nombreux récits se lisent avec intérêt et plaisir. Certes, ils chamboulent le lecteur, mais ils remettent les idées en place et apportent un triste témoignage sur le rabattage et sur les conditions de vie des filles. Dans l’introduction l’auteur se demande si la situation actuelle a apporté un mieux. Des maisons aux trottoirs, quel progrès ? Est-ce que les choses ont vraiment changé finalement ? Il ne donne aucune réponse sur ce sujet complexe et épineux, mais apporte les bases d’une vraie réflexion. Ce livre est une excellente surprise et un coup de cœur. Je remercie le forum « au cœur de l’Imaginarium » et les éditions « La Musardine » pour cette lecture.