Extrait du chapitre 1
La porte se referme dans un léger claquement, suffisamment discret pour ne pas réveiller l’inconnu encore endormi sur le lit. Jérôme s’éloigne de ce corps sans nom, aux courbes anonymes. Les draps froissés, où il s’est lové pour la nuit, refroidissent et regrettent déjà sa présence et sa douce sensualité.
Le contraste frappe le jeune homme de plein fouet. Après l’intimité et la pénombre de la chambre, les murs le happent dans leur longueur blanchâtre, immaculée et hypnotique. Il porte une main tremblante pour masser sa tempe douloureuse, annonciatrice d’une migraine carabinée. Il ne prête qu’une brève attention à son corps endolori, sans doute bien sollicité par la gymnastique d’une nuit mouvementée, trop à son goût. Il avance, avalé par ce couloir maussade, frappé par son étonnante propreté, engourdi de fatigue et gagné par un malaise de plus en plus perceptible. La nausée l’étreint, alors qu’il appuie sur le bouton de l’ascenseur. Manquerait plus qu’il se lâche sur la moquette d'un gris passé de l’étroite cabine. Non…il ne se sent vraiment pas en forme, mais c’est autre chose qui le turlupine. Son instinct lui crie de fuir au plus vite. Pourquoi cette réaction excessive ? Ce n’est pourtant pas son premier « coup d’un soir » et ce n’est pas non plus sa première gueule de bois. Loin s’en faut !
Devant son comptoir, qu’il époussette sans doute pour la centième fois, le gérant, un quinquagénaire bedonnant au crâne lisse, Monsieur Propre en personne, les biceps en moins, n’ accorde pas le moindre regard à ce jeune homme au comportement pourtant suspect, qui passe en trombe devant lui. Jérôme frissonne. Le voilà comme un gosse effrayé par le croquemitaine. Franchir le seuil de l’hôtel lui donne l’impression d’échapper à un monstre lancé à sa poursuite. Un monstre sans visage car, malgré ses efforts, Jérôme ne parvient pas à associer une image tangible à cette peur aussi infondée que ridicule ! Il ne peut également s’empêcher de se demander qui se trouve dans cette chambre d’hôtel, qu’il vient d’abandonner lâchement. Ou judicieusement… Tout dépend du point de vue sur lequel on se positionne, l’homme adulte ou le gamin effrayé. Aucun souvenir ne remonte à la surface, rien qu’un masque blanc sans traits, aux orbites vides. Jérôme a beau fouiller désespérément dans les tréfonds de son esprit qui hésite encore entre engourdissement et état d’alerte, impossible de se remémorer l’identité de son partenaire ou les événements de la nuit passée, quoiqu’il ait un doute sur la nature de ceux-ci.
Le jeune homme soupire, car, même s’il ressent encore la trace d’une menace pernicieuse, il se sent libéré. Il passe ses doigts fins dans sa courte chevelure, pour discipliner ses boucles cuivrées, ajuste sa veste pour ne pas renvoyer l’image de « celui qui vient de passer la nuit dehors », un peu trop légère d’ailleurs pour contrer le vent glacial qui souffle avec vivacité. Les passants, à l’instar du gérant de l’hôtel, ne lui accordent aucune attention, mais s’empressent d’enfouir leurs visages dans des écharpes de laines et réfugient leurs mains dans leurs gants ou leurs poches, soucieux d’éviter l’agressivité de ce froid matinal. Jérôme se joint à eux, pressé de rejoindre son appartement, où il compte bien s’accorder une longue douche chaude, le meilleur remède pour chasser la migraine et se réchauffer… sauf qu’aussi insolite que cela puisse paraître, Jérôme réalise qu’il ne ressent pas la morsure du vent sur sa peau.
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