vendredi 27 mars 2015

A bout de mères - Les diables bleus m'emportent de Rachel D Forêt


Résumé
Comme les deux faces indissociables d'une médaille, 
la maternité a son revers. 
Les mères amères sont à bout. 
Le reflet dans le miroir s'est teinté des plus sombres pensées, 
des plus noirs desseins. 
Mères monstrueuses, égoïstes, passives, impuissantes... 
Qu'elles subissent, agissent ou réagissent, 
elles souffrent à travers et pour leur enfant. 
Derrière la comédie des apparences, 
les neuf nouvelles de ce recueil explorent les facettes obscures de l'âme humaine.

Mon avis
Le recueil « A bout de mères » attire le regard par sa magnifique couverture. Des tons sombres, un miroir, une silhouette piégée, incertaine et triste,  du mystère et de la mélancolie… Le ton est donné dès le début et ne trompe pas le lecteur. Les explications de Rachel D Forêt sur le titre « Les diables bleus m’emportent », traduction littérale de l’expression « blues devils », signifiant « idées noires » confirment cette première impression.
Ils sont suivis de l’avant propos de l’auteure sur le sujet principal du recueil: la maternité, le lien entre mère et enfant. Ces lignes annoncent un bonheur terni, sans doute emporté par quelques diables bleus, une réalité qui s’effrite pour devenir plus sombre. L’auteure livre sa volonté de varier les types d’écrits, à travers ses nouvelles, mais aussi à travers les thèmes en s’appuyant sur les légendes et mythes. On y sent fortement son investissement et son implication personnelle.  

La différence entre les écrits se traduit par une variation dans la longueur des textes et des types de textes proposés. Certains textes sont courts, voire très courts, mais efficaces, d’autres sont plus longs et plus détaillés, mais tout aussi percutants. En ce qui concerne les types d’écrits, ils varient du texte, à la nouvelle et passent par d’autres variantes comme la lettre ou encore peut-on trouver une histoire respectant la chronologie de clichés photographiques. 
Leur utilisation semble toujours pertinente et cohérente et découle de la volonté de Rachel d Forêt d’adopter la forme la plus appropriée pour son message. On ne les perçoit jamais comme des exercices de style, mais bien comme une facette à part entière de l’écrit qu’ils portent. J’ai particulièrement apprécié cette variété et cette richesse dans l’écriture du recueil, surtout qu’elles s’accompagnent d’une écriture fluide et agréable et que la présentation est particulièrement soignée.

Le thème commun à chaque texte du recueil reste « la souffrance d’une mère ». Chacune de ces mères évoquées par l’auteure annonce un sujet sensible (que l’on soit mère ou non), celui d’une souffrance qui semble peu concevable, sujet que l’on évite sans même s’en apercevoir. Il s’agit donc avant tout d’un sujet tabou.
L’auteure prend le parti de bousculer le lecteur et même de le choquer, en dévoilant une souffrance bien réelle. Les situations évoquées, même quand les textes frôlent le fantastique ou le mystique, décrivent des faits plausibles, pouvant se produire au quotidien. Le fantastique et la fiction n’effacent pas la réalité de la souffrance de ces femmes, quelles que soient la douleur, la faute ou la culpabilité dont-elles s’accablent. Le surnaturel tend même à la renforcer. Ce mélange des genres tout à fait osé, entremêlant psychologie et fantastique, fonctionne donc à merveille.

Que les textes soient à la première ou troisième personne, ce sont principalement les mères qui racontent leur histoire. Elles sont touchantes et tristes, parfois cruelles. Seule dans la nouvelle « Nuit invisible », la mère s’efface pour laisser se produire l’imaginable. Cette nouvelle fait exception. L’auteure émet même un avertissement pour celle-ci, vu son atmosphère particulièrement malsaine.
Dans beaucoup de ces histoires, on sent la solitude de ces femmes, qui souffrent en silence de la perte d’un enfant, d’une absence involontaire, de leur impuissance face à la cruauté de la vie ou des hommes, de leur manque d’amour pour celui qu’elles ont mis au monde, ou de l’amour qu’elles ont perdu.
L’arrivée d’un enfant est un bouleversement que chacun gère à sa façon. Bien souvent source de bonheur, il peut créer une brèche dans le couple et dans les cœurs. En effet, l’amour et le bonheur ne vont pas de soit avec l'arrivée de l'enfant, contrairement aux idées reçues. Toutes les mères ne sont pas sûres d’être prêtes ou à la hauteur, quand leur enfant arrive. Pratiquement toutes les mères ont des doutes, mais chacune gère la situation plus ou moins bien, à sa façon, et dans des circonstances tellement différentes d’une famille à l’autre. Certaines sont vite rassurées, d’autres ne le sont pas et le mal être peut s’installer.
Le message peut paraître dur, mais ces textes sont comme un cri que lance l’auteure, pour nous demander d’ouvrir les yeux et de venir en aide à ces personnes en détresse, ou plus simplement pour les faire déculpabiliser en montrant qu‘elles ne sont pas seules. 

Bien que le recueil a pour but de nous faire réagir, il ne manque pas de pudeur et de délicatesse. Grâce à sa plume sensible, l’auteur nous fait réaliser qu’il ne faut pas juger, mais comprendre. 
Dans ces histoires, je me suis souvent dit, qu’il aurait suffit d’un peu d’aide, d'un simple geste, pour éviter que tout bascule et que la réalité devienne cauchemar. 
Plutôt que de tenir pour acquis l’amour qu’éprouve une mère pour son enfant, ne peut on pas aider les mères qui ne le ressentent pas, qui ne trouvent pas cet instinct dont tout le monde parle ? Doit-on les blâmer pour cela ? Ne peut-on pas les aider pour leur bien et pour celui de l’enfant ?
Face à la perte de son enfant, doit-elle se draper de dignité et passer à autre chose ? Ou quand elle-même disparaît, est-elle irremplaçable ?
Le recueil n’a pas pour optique de répondre à ces questions, mais nous monte qu'elles méritent qu’on s’y attarde, sans chercher à montrer du doigt les torts des uns ou des autres.

J'ai aimé chacun des textes du recueil, car chacun est prenant et marquant à sa façon, mais mon préféré reste Aokigahara. J'ai aimé le cadre forestier, l'immersion immédiate dans l'histoire et l'exploitation de la légende Japonaise (même si on plonge dans l'horreur à la fin de celle ci et je n'en dis pas plus de peur de spoiler). 

En conclusion, ce recueil fut une belle et poignante découverte, le genre de lecture qui vous hante pendant longtemps. L’écriture soignée, sensible et pertinente, le soin de la présentation et la sensibilité de l’auteure y sont pour beaucoup. Je remercie Rachel D Forêt pour sa confiance. « A bout de mères » est un gros coup de cœur et un recueil à découvrir absolument !

Remarque je tiens à partager le lien que Rachel D Forêt conseille en annexe de son livre: 
http://www.maman-blues.fr
Car on ne naît pas mère, on le devient…



2 commentaires:

  1. Le thème m'intéresse énormément. Je crois que je vais l'ajouter à ma wish list de ce pas. Merci pour ta chronique.

    RépondreSupprimer
  2. C'est également un sujet qui m'interpellait avant de me lancer dans ma lecture et je n'ai pas été déçue.

    RépondreSupprimer