Résumé
"J'aimais les mythes. Ils n'étaient pas des histoires d'adultes et ils n'étaient pas des histoires d'enfants. Ils étaient mieux que cela. Ils étaient, tout simplement." De retour dans la maison de sa famille pour des obsèques, un homme encore jeune, sombre et nostalgique, retrouve les lieux de son passé et des images qu'il croyait oubliées. Le suicide d'un locataire dans une voiture au bout d'un chemin, sa rencontre avec une petite voisine, Lettie, qui affirmait alors que l'étang de derrière la maison était un océan.
Et les souvenirs de l'enfance, qu'il croyait enfuis, affluent alors avec une précision troublante...
Ce sont les souvenirs d'un enfant pour qui les histoires existent dès qu'on les croit et qui se réfugie dans les livres pour échapper aux adultes, un enfant pour qui les contes sont sa réalité. Gaiman nous plonge ainsi l'univers de l'enfance en même temps que dans celui des contes anglo-saxons, dont il a une connaissance érudite.
Mais plus encore, il nous convie à une relecture de l'influence des contes sur notre enfance, une réflexion sur la mémoire et l'oubli, et ce qui demeure d'enfance en nous. Fidèle à son imaginaire féerique, Neil Gaiman est un créateur d'archétypes que Stephen King qualifie de "trésor d'histoires". Il épure ici sa phrase et ses possibilités narratives pour nous procurer une émotion toute nouvelle, inédite, dans ce roman court, très personnel, qui dévoile sans doute beaucoup de lui et démontre tout le génie littéraire qui lui a valu le convoité Book of the Year décerné à ce roman par les lecteurs anglais.
Mon avis:
Le narrateur se rend parfois devant l’océan, juste au bout du chemin, une simple marre, mais un océan pour son amie d’enfance Lettie. Il y trouve refuge, mais aussi ses souvenirs. Ceux qu’il ne peut garder. Ceux qui le quittent dès qu’il s’éloigne.
Le roman raconte son histoire, celle se son enfance. Une histoire à la fois merveilleuse et terrifiante, qu’il nous conte à la première personne et dans laquelle on plonge sans mal.
Le petit garçon qu’il a été paraît immédiatement sympathique à nos yeux : amoureux des livres et des chats. Evidemment, on se sent proche.
La magie entre dans sa vie par le biais de Lettie, petite fille de la ferme voisine, aventureuse, enjouée, sage un peu, pas toujours, et moins vulnérable qu’on ne peut le croire. En effet, la fillette lui fait découvrir des merveilles et des créatures qui n’existent que par magie.
Celle-ci au départ subtile, quelque peu enfantine, s’insinue ensuite dans la réalité, de façon sournoise, même si elle garde un côté fascinant. Les frontières entre les mondes demeurent fragiles. Une des créatures de l’autre monde s’invite dans la vie du garçon, en prenant les traits d’une belle gouvernante. Elle se fait appeler Ursula et sait se faire apprécier de tous, car elle donne à chacun exactement ce qu’il désire. Seul le garçon comprend sa nature dangereuse et s’en fait une ennemie de plus en plus froide et menaçante. Mais, si elle souhaite le contrer pour mieux s’accaparer sa famille, elle doit également le conserver près d’elle. Il est sa porte de sortie au sens propre, puisqu’elle s’est insinué en lui et a créé une ouverture dans son corps. La créature et lui sont donc intimement liés.
Le garçon voit sa famille se désunir, par le fait d’Ursula, même si eux n’en n’ont pas conscience. Il souffre de cette situation cruelle, se sent presque abandonné, exclu. Heureusement, Lettie et sa famille, sa mère et sa grand-mère lui viennent en aide. Ces dames pratiquent la magie et font ce qui est en leur pouvoir pour aider le garçon.
La famille de Lettie recèle bien des mystères. Si on devine certains d’entre eux, elles garderont leur touche d’étrangeté jusqu’au bout du roman. Leur pouvoir semble immense et leurs facultés sans limites, ce qui sauvera la mise au petit garçon plus d’une fois.
On apprécie aussi leur grand cœur, leur bonhomie et l’affection qu’elles accordent au narrateur. Lettie, petite fille courageuse, marque particulièrement le lecteur.
La famille du narrateur semble, en comparaison, plus banale, voire trop conventionnelle et fragile. On comprend que le narrateur, enfant ou adulte éprouve le besoin d’aller se ressourcer auprès de la famille Hempstock, et plus précisément auprès de l’Océan de Lettie. Son engouement pour celui-ci s’explique plus clairement à la fin du roman.
Le roman est emprunt à la fois de simplicité et de poésie. L’auteur touche au merveilleux, en le contrebalançant avec une atmosphère oppressante. Il y décrit des moments simples et joyeux, les petits plaisirs de l’enfance: un bon repas, les ballades dans la nature, une nouvelle amie, un bon livre, un petit chat. S’y opposent l’ensorcellement progressif des membres de la famille du garçon, absorbés dans leur quotidien et leurs propres désirs, ainsi que la peur de celui ci de les perdre définitivement.
Si Ursula parait maléfique, dans son rôle de méchante gouvernante, elle montre aussi une vulnérabilité: son manque d’affection, sa quête d’une famille au sein de laquelle elle serait acceptée. Le narrateur devient un obstacle dans ses plans, mais elle n’es pas forcément « mauvaise ».
Le roman prend du temps pour s’installer, le temps que la magie opère dans le roman et sur le lecteur. Le rythme s’accélère ensuite et devient palpitant. Passés les premiers chapitres, on tourne les pages avec émerveillement et appréhension. La plume agréable de l’auteur et la narration à la première personne aident définitivement à entrer dans le roman. Difficile de le lâcher une fois que l’on se laisse piéger. On demeure captif de sa magie.
En conclusion: « L’océan au bout du chemin » est donc d’un roman complexe et subtil sur l’enfance et le besoin d’être aimé, sur la famille et l’amitié, qui prend des allures de contes…
Il s’agit du deuxième livre de Neil Gaiman que je lis pour mon défi personnel (le premier était L’étrange vie de Nobody Owens) et me voilà déjà une grande fan de l’auteur. On retrouve dans ces deux romans un thème fort: l'enfance et la difficulté de comprendre le monde adulte, la difficile transition entre l'enfance et l'âge adulte.
J’ai hâte de continuer mes lectures, car j’aime beaucoup l’univers que je découvre à travers ses romans, sa subtilité à toucher notre imaginaire, sa sensibilité, et sa plume. Le prochain roman sera sans doute Neverwhere puisqu’il m’attend déjà dans ma Pal.
PS : Je tiens à remercier Thierry qui m’a permis cette lecture fantastique !