Résumé
En mars 2015, Jacques Abeille signe son nouveau roman Le Veilleur du jour aux éditions Le Tripode, où il a déjà publié Les Jardins statuaires, Les Barbares, La Barbarie et Les Mers perdues, tous salués par la critique. L’occasion pour nous de rappeler qu’il est aussi un grand auteur érotique, sous le pseudonyme Léo Barthe, personnage qu’il a créé dans Le Veilleur du jour (Flammarion, 1986) pour explorer en toute liberté, mais non sans vicissitudes, les sous-entendus et les interdits de la littérature amoureuse. Aux éditions La Musardine, on lui doit notamment Camille (réédité en février 2015) et Zénobie la mystérieuse (2008).
Aux abords du XIXe siècle, et aux confins d’une province reculée, dans une noble demeure délabrée, Gérard grandit sous l’autorité ombrageuse d’un oncle aigri en ignorant tout du monde et des affres de l’amour. Lorsque accidentellement surgit dans sa vie Camille, charmant adolescent selon l’apparence, Gérard, de découverte en découverte, perdra son innocence en suivant une instruction libertine pour le moins fiévreuse et périlleuse. Mais qui est Camille, et qui se cache derrière cet être mi-ange, mi-démon ? Quelle destinée l’oblige à soumettre son corps à des cruautés qui mènent à l’extase, entraînant Gérard dans son sillage ? La flamboyante passion qui unit les protagonistes de ce long rêve halluciné résistera-t-elle aux révélations d’un passé aussi trouble que mystérieux ?
Mon avis
Derrière le pseudonyme de Léo Barthe, se cache Jacques Abeille, romancier. Celui-ci se sert en effet du nom du personnage d'un de ses romans, pour signer ses écrits les moins conventionnels et dont le lectorat peut s'avérer différent. « Camille », loin d'être le premier roman de l'auteur, que ce soit sous le nom d'Abeille, ou celui de Barthe, m'a clairement donné l'envie de découvrir son univers et ses différentes facettes.
Dans « Camille », un homme évoque ses souvenirs de jeunesse, son premier amour et son initiation aux plaisirs de la chair. Le récit, mené à la première personne, expose ses souvenirs, qui se coulent dans un quotidien monotone, dans une campagne isolée du monde et de la société.
Ce flash-back permet une prise de recul au narrateur sur la situation passée. Celui ci expose ainsi ses sensations et propose des explications, tout en relativisant leur importance et leur portée sur la suite des événements. Il ponctue son récit de remarques sur son état d'esprit de l'époque, avec un regard éclairé, mais en préservant le suspens, sans trop se livrer. Le tout reste suffisamment bien dosé pour garder l'intérêt du lecteur.
Dès le début du roman, le récit frappe par son style riche et élégant, fluide, mais soutenu. La plume sûre et subtile passe de moments poétiques aux passages les plus crus. La justesse dans le choix des mots ne peut que permettre au lecteur de se régaler.
Les descriptions et la narration sont également soignées. En effet, une narration rythmée et sans temps mort contribue au confort de lecture, lecture qui devient vite addictive.
L'oscillation entre moments poétiques et crus se retrouve au sein même de la narration, qui offre d'un côté une analyse des émotions, des moments de contemplation et de création artistique, une exploration des sentiments et des sens, et de l'autre des situations et mises en scènes punitives très osées. L'auteur jongle avec ces scènes adroitement et déploie sa plume, mais sans jamais tomber dans le vulgaire.
Ce soin apporté à la forme et au style représente la vraie force du livre, ce qui emporte vraiment le lecteur. Cela ne signifie pas pour autant queLéo Barthe néglige l'histoire, bien au contraire ! Tout simplement, il la sublime par ses mots.
« Camille », comme son titre l'indique, se centre sur l'histoire de Camille et du narrateur, deux personnages que tout oppose. Gérard est un jeune homme mélancolique et innocent. Camille, jeune homme de la haute société, cache bien son jeu. C'est un personnage dont la personnalité se façonne de nombreux secrets et de nombreuses facettes : à l'image pure et prude se superposent des attitudes tantôt hautaines, tantôt perverses et cruelles. Ses comportements changent bien souvent selon ses caprices et ses sautes d'humeur. C'est également un personnage en souffrance. On découvre au fil du récit ses blessures et cicatrices, les abus qui en sont à l'origine.
Camille semble à la fois s'amuser et souffrir de la relation entretenue avec Gérard et pousse toujours le jeu à l'extrême. Les sévices mis en scène sont sensés alléger sa peine. Dans la jouissance et le châtiment repose la quête de l'avilissement. C'est un aussi un excellent moyen pour réfuter les sentiments de Gérard, de mettre une barrière entre eux, tout en gardant une relation uniquement physique.
Au début du récit, le narrateur, vierge, s'avère niais et sans connaissances sur les plaisirs du corps. Camille lui apprend tout : premiers émois, premières relations sexuelles. Celui ci ne se pose d'ailleurs aucune question sur le sujet de l'homosexualité. Les caresses et gestes échangés lui semblent naturels, et ça lui suffit (son isolement l'a libéré du poids du jugement de la société). Cette innocence le rend attachant aux yeux du lecteur, qui apprécie de suivre son initiation, même quand celle-ci dérive. On remarque que dans ce cas, Camille s'arrange toujours pour garder le mauvais rôle.
Gérard va également mettre sa créativité au service de sa passion, peut être pour exprimer son amour, puisque Camille le lui interdit ou pour le sublimer, quand Camille ne cherche qu'à le salir. Il souhaite y représenter son insouciance, sa liberté.
Si les représentations faites gardent un caractère érotique, on note tout de même sa volonté de sublimer les corps.
L'histoire se centre donc sur eux, sur le ressenti du narrateur, son exploration des plaisirs (regard neuf sans jugement sur ses nouvelles expériences), des sentiments d'un amour naissant puis grandissant, aboutissant bientôt à l'amertume, puis à l'incompréhension. Les sentiments partagés ont été équivoques, passionnels, tendres, mais sauvages et coupables.
Camille aime Gérard à sa façon, mais le sait innocent et cherche à le souiller, avant son départ. Car le départ est inévitable : la vie de Camille est une fuite.
La révélation finale laisse le lecteur perplexe par sa logique (on ne l'a pas vu venir), par son culot et sa prise de risque. Léo Barthe fait avancer le narrateur et le lecteur sur des terrains qu'ils auraient sans doute préféré éviter. Le lecteur partage ainsi son hésitation entre plaisir et révulsion.
Le narrateur raconte cet épisode de sa vie avec précision. Il ne l'a toujours pas oublié, mais le désire-t-il vraiment ? Cette initiation l'a trop marqué pour qu'il puisse complètement s'en remettre et l'occulter. Le lecteur en ressort pareillement chamboulé.
En conclusion : j'ai vraiment adoré le style de l'auteur. L'histoire racontée est forte et bien menée. Elle m'a marquée et c'est avec grand plaisir que je plongerai dans Zénobie la mystérieuse du même auteur, toujours en partenariat avec les éditions La Musardine que je remercie pour cette excellente lecture. Merci également au forum Au cœur de l'Imaginarium !
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