mardi 7 avril 2015

Katorga de Jean-Michel Archaimbault



Résumé

Nous avons commis les plus graves des crimes. Nul souvenir ne nous en reste, sauf une date identique pour tous. Déportés dans une colonie pénitentiaire spéciale, nous travaillons à des recherches dans nos domaines d'excellence. Contrôles et examens périodiques évaluent nos progrès vers la réhabilitation. 

Jamais nous n'avons vu nos gardiens. Jamais nous n'avons vu, par-delà les limites du camp, l'inconnu total et mortel qui nous environne. Nous sommes exilés sur un monde qui n'est pas notre Terre, et qui relève d'un plan différent. 

Notre seul espoir de franchir le seuil dans le sens du retour... Accepter la part de l'ombre, renoncer à l'évasion... nous adapter à la KATORGA... 



Mon avis

A l'occasion des dix ans de « Rivière Blanche » Jean Michel Archaimbault nous propose avec « Katorga » une version revisitée et modernisée de « N'accusez pas le ciel », de Richard Bessière (publié en 1964). J'avoue ne pas avoir lu ce précédent roman et ne pas proposer une comparaison de ces deux œuvres. Cette critique se centrera donc sur mon ressenti à la lecture de « Katorga » uniquement.

Dans « Katorga », Alexeï Goriantchiko, personnage principal du récit nous raconte sa vie dans la Katorga, située sur la planète Agruun Syrthra.
Emprisonné dans la colonie pénitentiaire pour une faute qu'il ne se rappelle plus avoir commise, sa mémoire ayant été effacée avant son incarcération, il y mène des travaux de recherche et d'expérimentation. Les prisonniers qui l'entourent sont aussi des savants, qui se voient affecter des taches, en fonction de leurs compétences spécifiques.
Leur vie quotidienne semble rythmée autour de ces travaux qui retiennent la majeur partie de leur attention.
Pourtant, Alexeï s'interroge. Quelle est sa faute ? Et celle des autres ? Ont-ils commis le même crime, puisqu'ils furent tous emprisonnés le même jour ? (la date d'effacement de la mémoire semble, en effet, la même pour tous). Sinon, par quel hasard auraient-ils commis leur crime le même jour ? Et surtout quel est ce crime ? Sont-ils des assassins ?
Alexeï voudrait savoir, comprendre. Ces questions semblent l'obséder plus encore que son emprisonnement lui même.
D 'ailleurs dans la Katorga, la liberté ne s'obtient qu'après réhabilitation, car ce n'est pas le rachat de la faute qui compte, mais la guérison. Des tests organisés quotidiennement permettent de juger du traitement approprié. L'évasion reste improbable, car elle serait à coup sûr découverte, vu la surveillance constante de l'état d'esprit des prisonniers et de leurs intentions, grâce à ces mêmes tests. Mais, ce n'est pas ce qui motive Alexeï, avant tout en quête de vérité.

Au départ de son aventure, Alexeï se réfugie dans la solitude et tente de ne pas être percé à jour. Seules de rares confidences sont échangées avec celui qu'il appelle « le professeur ». Les autres attachent plus d'importance à leurs travaux de recherche et sujets d'expérimentation, sans se mêler aux éléments perturbateurs.
La solitude d'Alexeï le pousse à l'obsession, ainsi qu' à la prise de risques pour essayer d'en découvrir plus. Le professeur lui reprochera même son attitude imprudente et source d'ennuis pour les prisonniers et la colonie. Inga, fille du professeur est la première à se rapprocher de lui et à comprendre ses plans.
Une important explosion permet pourtant à certains prisonniers de réaliser qu'ils ne sont pas aussi seuls qu'on cherche à leur faire croire et qu'on leur cache des choses. Voilà qui leur donne l'envie d'en savoir plus !
Cet événement s'avère donc propice au rapprochement et un petit groupe de complices rejoint Alexeï qui pousse son exploration toujours un peu plus loin.

Si les protagonistes du récit deviennent vite nombreux, l'intrigue se ressert sur ce petit groupe, ce qui permet de mieux cerner les personnages et de garder le fil sans être perdu. De plus la bonne caractérisation des principaux personnages et la narration à la première personne du point de vue d'Alexeï permet au lecteur de garder des repères précis. Adopter le point de vue d' Alexeï, se révélant le plus « rebelle » de tous, ne se contentant pas d'évidences assenées à coup de suggestions et conditionnement, s'avère un très bon choix, car on aime le suivre et on partage sa soif de vérité. Les révélations auxquelles il se trouve confronté, vont au delà de ce qu'il peut imaginer et accepter.

La narration à la première personne présente bien des avantages. L'auteur insiste avec justesse sur les émotions et réflexions d' Alexeï. De plus, les informations fournies au lecteur découlent de ses découvertes (ou de ce qu'il croit découvrir). Elles sont le fruit de ses visions, de ses tourments et incompréhensions. On ne connaît pas son degré de lucidité face aux événements. L'auteur peut ainsi moduler le récit dans la direction désirée, à l'aide de ces semi-vérités, entre surprise et épouvante. Le lecteur, pas plus qu'Alexeï, ne peut détecter ce qui est réel ou non, ce qui est suggestion et ce qui est réalité. Le doute reste permanent. L'auteur emmène donc le lecteur à sa guise, pour mieux le surprendre et y réussit fort bien ! En effet, si le point de départ et l'arrivée forment des classiques SF prévisibles et attendus, le chemin parcouru, par contre, ne manque pas d'originalité et d'imagination.
S'il semble un peu dommage que l'exposé final apporte la « Vérité »tant recherchée de manière un peu mécanique, elle apporte toutefois des éléments de compréhension supplémentaires sur le choix de la narration : celle ci prend tout son sens sur le fond, comme sur la forme. Tout a été préparé calculé, mis en place, maîtrisé par l'auteur et le lecteur se laisse piéger avec plaisir !

La Katorga, lieu mystérieux et élaboré, s'organise autour d'un mode de fonctionnement pensé et calculé de manière optimisée : des tâches, confiées aux savants exploités selon leurs compétences, découlent les inventions validées et concrétisées et les avancées technologiques. Ces hommes représentent donc les maillons indispensables de son bon fonctionnement, mais sont conditionnés pour s'en remettre entièrement aux robots qui gèrent la colonie. La véritable nature et fonction de ces robots, ainsi que de l'inquiétant commandant, qui impose une autorité sournoise et sans faille, font partis intégrante des secrets bien cachés de la Katorga.
L'autorité mise en place, passe également par l'individualisme : on tient chaque savant focalisé sur ses recherches, encouragé à délaisser toute conscience collective. On lui apprend à douter constamment des autres à respecter la discipline, mais surtout à la faire respecter.

L'explosion, élément perturbateur du récit, permet à notre petit groupe de complices, nouvellement formé, de se projeter à l'extérieur de la Katorga, alors qu'ils ne l'auraient jamais envisagé auparavant, persuadés de se trouver sur une planète inhabitée et hostile.
L'extérieur révèle d'ailleurs bien des surprises et des paradoxes, que ce soit sur la nature même d' Agruun Syrthra ou sur les cités visitées. Ces dernières, envoûtantes et intangibles, paraissent en pleine ébullition, alors qu'elles sont vides de toute vie. Le phénomène qui les caractérise leur accorde également une étrange immortalité.

L'écriture précise, juste et fluide, les chapitres courts, la narration à la première personne et l'emploi du présent, offrent un rythme de lecture très plaisant et une plongée totale dans l'univers proposé par l'auteur. L'immersion, ainsi facilité, rend le récit plus vivant.
Si l'intrigue et les sous-intrigues peinent parfois à s'imbriquer au début, elles se fluidifient ensuite au cours du récit, qui reste toujours très prenant.
On apprécie également les paradoxes proposés et le doute constant entre suggestion et réalité, très bien mis en place, bien décrits, à la fois surprenants et intrigants.
L'auteur joue des faux-semblants, des fausse vérités et les convictions du lecteur se font et se défont au fil du récit, jusqu'au dénouement final.
Si un soupçon d'explication germe vite dans l'esprit du lecteur, il ne s'attend pas au chemin parcouru pour la vérifier, ni à la tournure que prend finalement l'intrigue. De plus, si la révélation finale semble assez machiavélique (voire choquante), elle suit pourtant un raisonnement logique,construit au fil des effroyables découvertes réalisées par Alexeï et ses amis, et apparaît tout à fait cohérente avec la culture SF.

L'atmosphère de Katorga souvent oppressante, parfois horrible et glaçante, toujours troublante représente un point fort du roman. On peut noter également l'équilibre intéressant entre éléments de l'intrigue et détails techniques. J'avoue mon ignorance sur ce point, pourtant ces détails fort intéressants pour qui s'y entend un minimum sur ce sujet, ne sont pas pesants pour les non initiés et n'occasionnent aucune gêne à la lecture.

En conclusion, « Katorga » est un excellent roman de SF, prenant et surprenant. J'ai apprécié l'univers riche, l'intrigue tortueuse et les personnages attachants proposés par JM Archaimbault. Grâce à la plume de l'auteur, et l'atmosphère froide, parfois glaçante, je me suis immergée sans mal dans l'intrigue. Une fois lancée, difficile de lâcher, tant j'avais envie de connaître et comprendre la vérité à l'instar d'Alexeï.
Voilà qui me donne bien envie de découvrir « N'accusez pas le ciel », afin de discerner points communs et apports faits avec l'adaptation.
A la fin du livre, on retrouve d'ailleurs le témoignage de Mick Bessière, épouse de Richard Bessière (aujourd'hui décédé) qui a accordé son soutien et sa confiance à Jean michel Archaimbault, avec le désir de voir vivre encore l’œuvre de son mari.
Jean Michel Archaimbault nous livre aussi le cheminement de ses préparations, des lignes directrices choisies pour la réécriture, son souhait d'y conserver l'esprit du roman original et sa volonté de rendre hommage à l'auteur.
Ces compléments d'informations pertinents se lisent, donc, avec intérêt à la suite du roman.

Je remercie « Rivière Blanche » et « Au cœur de l'Imaginatium » pour cette très belle découverte.

2 commentaires:

  1. Que de mystères… J’ai bien envie de découvrir ce roman du coup !

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  2. Je te le conseille. Je me suis régalée !

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