Résumé
De la science-fiction à la fantasy en passant par le fantastique, dix auteurs proposent leur vision d’un avenir du passé. Dans ce rétro-futur haut en couleurs, la vapeur et la voile cohabitent, le chevalier d’Éon use de charmes inattendus, des automates interrogent le tic tac de leur cœur mécanique et des élixirs permettent de changer de sexe à volonté. Embarquez à bord de la Vagabonde ou du Quatorze Sacs à Malice, destination la Russie, l’Afrique coloniale, Paris ou Londres, et partagez avec ces personnages les tourments et les plaisirs d’une vie à voile et à vapeur riche en aventures de tous genres – et sans distinction de genre...
Mon avis
L’anthologie « A voile et à vapeur » de la collection Y (éditions Voy’el) propose des nouvelles LGBT dans le cadre de la SFFF et plus précisément du steampunk.
Arthur Morgan signe, à cette occasion, la préface de l’anthologie et exprime ce qui fait l’essence du steampunk, qui ne se limite pas seulement à une esthétique, mais propose une réflexion sur la place de l’homme dans la société.
Les nouvelles proposées sont des écrits engagés, qui se positionnent sur l’aspect LGBT, mais au niveau humain. Ils poussent au questionnement et s’attardent sur des personnages problématiques et différents, car chaque individu quelque soit son identité et son orientation sexuelle a sa propre histoire. Ce sont ces histoires que nous content les différents auteurs de l’anthologie. Cette préface donne donc un axe de réflexion pertinent, qui prépare à la lecture et oriente le lecteur par son analyse intéressante.
Un des premiers aspects abordés dans l’anthologie et cela dès la première nouvelle est celui de l’identité sexuelle.
Dans la nouvelle « Louise Geneviève de Beaumont de Tonnerre » (alias le chevalier d’Eon), d’ Anthony Boulanger, le personnage assume totalement son ambiguïté sexuelle, d’ailleurs très bien mise en place. Tantôt appelé(e) Geneviève, ou Charles Louis, il joue de son androgynie, cherche le regard et non l’inverse. Ce personnage se sert de ses charmes et de ses atouts de séduction féminine pour déjouer un complot, en tant qu’espion(ne) du roi.
L’identité sexuelle peut être également source de nombreux doutes. Dans sa nouvelle « Ceci n’est pas une histoire de tortue » Tesha Garisaki, nous présente Ludovic/ Ludivine qui se voit hésiter entre ses deux identités et entre deux amours: l’un passionné, basé sur le désir, l’autre profond basé sur le respect. Le choix est douloureux à faire, car il pousse à renoncer à un aspect de lui même. Deux facettes de sa personnalité se disputent. Le personnage fera le choix de l’amour, en choisissant la personne qui apprécie ses deux facettes et les comble finalement pleinement. Donc, sa décision est clairement influencée par l’autre, par le regard de l’être aimé, par la façon de le considérer et de l’accepter.
On retrouve cette problématique dans « le pudding Bavarois » de Jarod Felten, ou l‘amour platonique de deux hommes ne peut se concrétiser que par le changement de l’un d’entre eux. Ces deux textes font appel aux progrès technologiques pour permettre le changement de sexe de leur personnage. A noter que ces changements se font visiblement assez naturellement, sans que cela ne choque les personnes de leur entourage. Par contre, dans « le pudding Bavarois », l’auteur évoque la condamnation par la société de l’homosexualité. Ces textes interpellent le lecteur, le pousse à réfléchir sur la question de l’identité, et peut être même un peu sur la sienne.
Dans sa nouvelle « Du vent dans les voiles » de Jean Basile Boutak, Harvey l’automate choque toute la bonne société quand il veut changer de fonction. La métaphore est parfaitement réussie. D’automate d’intérieur, il veut devenir jardinier. Si Charles, son ami, dans toute l’innocence de l’enfance comprend que ce changement le rendra heureux, les parents ne l’entendent pas de la même oreille. Ce n’est pas convenable ! L’auteur se joue du « qu’en dira-t-on » puis retourne la situation de façon tout à fait savoureuse.
Dans « Poupée de Chiffons » de Sophie Fischer, les doutes de Ragdoll l’automate même si différents, se révèlent pas moins douloureux. Il doute d’être à la hauteur de celui qu’il aime: son créateur. Il se sent un vulgaire automate, porte peu d’estime à lui-même. Ce sentiment d’infériorité et sa timidité l’empêchent d’exprimer ce qu’il éprouve vraiment.
Dans certaines nouvelles, le problème de l’homophobie ne se pose pas, non pas, qu’elle soit forcément absente, mais plutôt occultée. Entre attirance sensuelle, passionnelle, destructrice et dépassant toute mesure dans « Dans les bras d’Orion » de Céline Etcheberry, la folle course-poursuite de deux amants dans « Une histoire d’éléphants » de Isaac Orengo ou la passion du personnage principal de « Suivez cette cathédrale » de Gareth Owens (traduction de Mathieu Rivéro) quand elle parle de son amante, dans toutes ces nouvelles, les personnages s’adonnent à leurs émotions et attirances, sans que la problématique LGBT soit posée et c’est également tout à fait agréable à la lecture.
Dans « Les mécanismes de l’errance » d’Alex Barlow, l’équipage d’un navire spatial écoute l’histoire de Jimmy et William que leur raconte Duke, façon de signifier à Aaron et Ron que leur affection l’un pour l’autre ne gêne personne. Le navire s’y présente comme un refuge, un lieu où ils peuvent être eux même, sans craindre le regard extérieur.
Deux nouvelles changent les codes de la société, et propose une perception du « politiquement convenable » différente de celle que nous connaissons.
Les couples mariés de « Du vent dans les voiles » ont officiellement pour amants une personne du même sexe et il est mal vu de déroger à la règle, en se montrant fidèle à son époux ou son épouse par exemple. On se retrouve donc dans une société imposant la bisexualité.
Dans « une histoire naturelle » d’Angou Levant, les femmes ont tout simplement disparu. L’idée de relations entre hommes et femmes parait au personnage principal, dans un premier temps, contre-nature, les relations entre hommes formant la normalité. Si sa réflexion évolue, il se forge son identité et se reconnait homosexuel, les femmes ne provoquant en lui aucun trouble. Il se trouve donc libéré du rôle donné par la société pour l’adopter de façon naturelle, consentie.
La touche steampunk reste tout de même discrète dans certaines nouvelles et on ne retrouve pas forcément les codes qui la composent. Les nouvelles apportent parfois un clin d’œil à travers l’esthétique de la technologie steampunk ou en évoquant la montée de l’industrialisation, ou encore l’époque Victorienne. C’est un peu léger pour les qualifier de nouvelles steampunk.
Les nouvelles qui proposent des automates pour personnages principaux avancent un peu plus dans le genre, ainsi que celles qui posent la technologie au service de l’humain, grâce à des sources magiques (fluides, auras, mais pas forcément la vapeur) pour soigner ou changer de genre.
Les récits proposés sont bien écrits, les plumes des auteurs, certes différentes proposent des nouvelles tantôt centrées sur l’intrigue, tantôt sur les personnages avec des atmosphères diverses: certaines douces, amères et mélancoliques, poétiques, d’autres palpitantes, intenses, rythmées. Elles se complètent par leur diversité : pas de redite et pas d’ennui à la lecture. Les nouvelles se lisent avec fluidité et intérêt.
En conclusion, c’est une anthologie fort agréable à la lecture. Les nouvelles proposées sont diverses et marquantes quelque soit l’aspect mis en valeur. Parfois, elles poussent à réflexion, d’autres fois nous font vibrer par leur intensité et leur mélancolie, ou nous offrent une intrigue prenante, dans laquelle on plonge sans hésiter. Même si la touche steampunk reste trop discrète, c’est une anthologie équilibrée qui offre suffisamment de similitudes et différences sur l’aspect LGBT pour s’interroger, aborder et comprendre différentes problématiques.
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